Comment gérer les conflits entre filiales françaises d’entreprises allemandes et maison mère ?
De plus en plus de filiales se plaignent de la pression imposée par leur maison mère. Bien entendu, à l'ère de la globalisation, la pression des marchés, des analystes financiers et donc des actionnaires, exige inlassablement une course aux résultats à court terme. Qui plus est, dans un monde où les cycles de vie des produits se raccourcissent, où les crises, réorganisations et restructurations se succèdent, le changement devient une constante. Mécanisme classique "maison mère - filiale", dira-t-on, qui n'a rien de franco-allemand...
Cependant les témoignages de filiales françaises de maisonmères allemandes convergent : "Jamais nous n'avions été traité avec un ton aussi directif et impérieux" ; "L'Allemagne nous moralise, nous menace" ; "Ils se mettent en colère alors qu'on les connaissait factuels" ; "On nous impose des délais et ultimatums irréalistes" ; voire même : " Nous nous sentons traités comme des collégiens par une nouvelle génération arrogante" ...
En fait, il ne s'agit pas d'un harcèlement pour dégoûter et faire donner sa démission au responsable de filiale comme les Français pourraient avoir tendance à le penser. Ces perceptions peuvent aussi être causées ou amplifiées par certaines structures de personnalité, des tempéraments caractériels ou par une méfiance due à un passif historique.
Pour décrypter ces surprenants changements comportementaux, il faut en connaître la cause profonde : l'insécurisation due à la perspective de devoir improviser, que cela soit du à l'imprévu ou à des éléments "übersehen" (non pris en compte) : Soit le fameux "Soll Ist Vergleich" (l'analyse des écarts) se creuse, "die Planung geht nicht mehr auf" (Ce qui était planifié ne se réalise plus), ou "Wir haben die Situation nicht mehr im Griff" (Nous n'avons plus la situation sous contrôle). Le système de pensée allemand se dérègle et se met en mode "stress".
Pour prendre l'exemple de la conduite du changement, les méthodes et vécus divergent d'une culture à l'autre : Un changement organisé, planifié ne pose en général pas de problème particulier en Allemagne. La mise en place peut mettre un peu plus de temps que dans d'autres pays mais si l'analyse et la préparation sont bonnes, on déroule le processus sans grande surprise. Par contre, en cas d'effondrement imprévu d'un marché, ou de nécessité de remettre subitement en question le plan directeur d'un projet, il s'agit alors de réagir, d'aller à l'essentiel et de trancher sans analyse approfondie, puis de mettre en oeuvre hâtivement. C'est là où cela devient plus difficile dans la culture allemande car un (nouveau) plan nécessiterait un processus de planification basé sur une (nouvelle) consultation des experts et acteurs concernés et dans des situations de tourmente, le temps manque pour un travail "gründlich" (en profondeur).
Fruit de la culture allemande, le système éducatif d'Outre Rhin ne prépare pas à savoir trancher, démarrer vite, adapter en cours de route, soit à savoir gérer l'imprévu, mais à l'éviter ... par une bonne organisation et planification ! En France, l'on est formé à réagir, à rebondir, par exemple à l'examen du "grand oral". On a donc tendance à se sentir plus serein, voire même à l'aise dans l'exercice de la gestion de l'imprévu.
Lorsqu'une société allemande est confrontée à une soudaine pression, des forts signaux de stress apparaissent. Nécessitant une réaction rapide, cette pression remet en question un mode de travail éprouvé.
JPB dans la presse
En découlent des réactions émotionnelles, irréfléchies, voire incohérentes, inhabituelles aux yeux des homologues français.
Si certains managers allemands ont, de par leur structure de personnalité, la faculté d'aller à l'essentiel, de trancher sans "Abstimmung" (concertation), leur environnement allemand se retrouve en situation d'inconfort extrême, car pas du tout habitué à la gérer. Ce phénomène explique de nombreuses pertes de sang froid et dérapages comportementaux d'homologues allemands évoqués ci-dessus.
Comment les filiales françaises peuvent-elles gérer de telles situations de crise ? Et que faire lorsqu'un problème surgit ? Parmi les pièges classiques dans lesquels il s'agit de ne pas tomber, par temps de tourmente ou non (cf. encadré ci-contre), en tête de liste : le réflexe français, de "les laisser venir... pour pouvoir ensuite mieux réagir" !
Il faut au contraire prendre les devants, voire dévoiler les difficultés (avant que les chiffres ne mettent l'Allemagne devant le fait accompli) et proposer spontanément un plan d'action précis pour redresser la situation.
Pourquoi être proactif ? Si c'est la maison mère qui découvre la problématique de la filiale, et qu'elle s'entend répondre évasivement ou conceptuellement à ses questions sur comment la maîtriser, elle considèrera le management de sa filiale, soit comme ne jouant pas le jeu de la transparence ("le filou français"), soit comme "unzuverlässig" (non fiable). Etant de ce fait persuadée que sa filiale n'a pas la situation "im Griff" (sous contrôle), c'est par insécurisation qu'elle aura tendance à prendre elle-même la problématique en mains. Confrontés à cet interventionnisme, les Français vivront le fameux "rouleau compresseur" allemand qu'ils redoutent tant !
Pour rassurer la maison mère, une stratégie de pro activité est indispensable. En cas de crise de grande ampleur, elle permet de fournir à l'Allemagne une zone de clarté dans le flou ! Car le subconscient allemand aspire à la "Berechenbarkeit" (prévisibilité) et un plan de redressement bien pensé et préparé rend serein (contrairement à la proposition de différentes pistes de solutions pour tester leur réaction, qui donne l'impression à l'Allemagne que l'on n'est pas sûr de soi).
Prendre en compte un problème tôt et démontrer sa maîtrise des processus et des chiffres prend du temps mais c'est la solution qui paye.
Une belle illustration de ce besoin de "Berechenbarkeit" se retrouve dans ce que l'on appelle Outre Rhin le "management du chaos". Si l'on regarde de près les outils correspondants, il s'agit de processus permettant de rendre calculable le chaos !
Un autre moyen qu'il est indispensable d'utiliser, surtout en temps de tourmente : rentrer dans le jeu de la "Auseinandersetzung" (débat contradictoire factuel) : exercice ardu pour la plupart des Français, surtout avec un homologue hiérarchiquement plus élevé, et notamment lorsque le ton monte. Là encore, lorsqu'on a été proactif, la mise à plat du sujet s'effectue sur le raisonnement présenté par la filiale, atout non négligeable pour cette dernière.
Cet exercice nécessite néanmoins la maîtrise de la "Direktheit" (le franc-parler à l'Allemande), règle d'or de la "offene Streitkultur" (culture du conflit ouvert), méthode efficace dont on est fier lorsqu'elle est pratiquée dans une société allemande ... et communément perçue comme irrespectueuse si ce n'est arrogante en France !
D'une façon générale, plus on parvient à se transposer dans le mode de pensée allemand et à se servir de raisonnements allemands, plus la sollicitation de la filiale a des chances d'être prise en compte. La culture communautaire allemande attribue par exemple un droit à plus d'égards et de considération qu'en France, notamment vis-à-vis du plus puissant : "Das ist unser gutes Recht (C'est notre bon droit !). Ce n'est pas parce que l'on ne représente que X% du marché que l'on est considéré comme quantité négligeable. Il faut savoir en jouer et ne surtout pas penser : "C'est la maison mère, ils ont le pouvoir, nous n'insistons pas". Muni de bons arguments (toujours dans la logique allemande), on peut souvent se prévaloir du raisonnement d'Outre-Rhin : "Tant que vous ne nous avez pas démontré que nous avons tort, nous avons raison" !
Toujours dans cette logique communautaire, il est d'autant plus impératif d'argumenter dans l'intérêt du groupe, et éviter ainsi le syndrome du village gaulois ou de l'exception culturelle, insupportable à toute maison-mère. Il faut avoir à l'esprit l'un des plus grands reproches des maisons-mères allemandes vis-à-vis de leur filiale française (cf. encadré cicontre) : un manque de
"Kooperationsbereitschaft" (disposition à coopérer).
A choisir entre une maison mère française, américaine, japonaise et allemande, il n'y a pas à hésiter : la maison mère allemande est moins difficile à amener à changer d'avis. Ce phénomène est lié au fait qu'en Allemagne plus qu'ailleurs, du fait de l'histoire, l'on met un point d'honneur à ne pas tomber dans le travers de l'abus de pouvoir.
Ainsi, contrairement au préjugé qu'il est impossible de faire changer d'avis un Allemand, il existe une batterie de leviers permettant d'augmenter ses chances d'obtenir gain de cause auprès de sa maison-mère. Encore faut-il connaître les règles du jeu de la culture managériale d'Outre-Rhin pour se les tirer à profit. En revanche il est étonnant de constater le nombre de cadres et dirigeants allemands vivant en France qui, une fois tombés "sous le charme" des habitudes managériales françaises, ont perdu leurs réflexes pour gérer "leurs Allemands" d'Allemagne !
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