Les compagnons en Allemagne : histoire, tradition et coutumes

On ne badine pas avec la tradition... Si les compagnons allemands (Wandergesellen) sont libres d'aller se former aux quatre coins du monde, les règles qu'ils doivent respecter sont nombreuses : pas de téléphone portable, interdiction de prendre le train, et bien plus. Voici l'histoire et les coutumes des compagnons en Allemagne.

Le Ruhlebener Klause, un bar typiquement allemand du quartier de Spandau, à Berlin, offre une vision peu banale le dernier samedi du mois.

Dans un coin, un groupe d'hommes, tous vêtus du même costume aux airs d'un autre temps : chapeau noir, gilet à boutons de nacre sur chemise blanche, et pantalon et veste de velours noir. C'est l'uniforme des Wandergesellen, les compagnons allemands. Ce sont des artisans qui ont décidé de prendre la route pour se former en itinérance.

Leur tradition remonte au XIIe siècle de ce côté du Rhin. Jusqu'à la révolution industrielle, ce voyage était obligatoire pour les jeunes artisans. Après leur apprentissage, ils devaient quitter leur ville natale pendant trois ans et un jour, avant de pouvoir devenir maître.

Persécutés par le régime nazi pour leurs liens avec le mouvement ouvrier, puis interdits en RDA, leur nombre a largement diminué au cours du XXe siècle.

Les années 80 et la recherche de modes de vie alternatifs ont cependant ramené de nombreux jeunes gens vers ce type de formation. On estime aujourd'hui le nombre à environ 700 compagnons allemands sur les routes.

Daniel viendra bientôt en grossir les rangs. À 28 ans, il vient d'incorporer une des sociétés de Wandergesellen, les honnêtes charpentiers et couvreurs, et nous fait part de son "envie de découvrir les différentes techniques pratiquées dans le monde"...

Mais ne devient pas compagnon qui veut. Il faut :

• être célibataire sans enfants
• ne pas avoir de dettes
• ne jamais avoir été condamné
• appartenir à un syndicat

Ces conditions permettaient surtout qu'un artisan ne parte pas pour fuir ses responsabilités. Et pour sceller l'entrée dans le groupe, il faut passer par le rituel de la boucle d'oreille : le trou est percé avec une aiguille et un marteau sur le bar. Ce bijou fait partie intégrante du costume. En or, il servait à payer la sépulture du compagnon.

L'importance de la tradition ne s'arrête d'ailleurs pas là. Lors de son départ, le compagnon n'a qu'un balluchon comme bagage, et hors de question d'emmener un téléphone portable.

De plus, pendant ces trois années, le compagnon ne doit pas revenir à moins de 50 km de sa ville natale. Et question transports, le train et le bus sont proscrits. David, un ancien de la société, souligne qu'"il faut marcher ou faire du stop. L'avion n'est autorisé que pour traverser les océans".

Car contrairement au compagnonnage français qui reste principalement basé dans l'Hexagone, les Allemands sont libres de parcourir le globe.

David est ainsi allé de la Scandinavie à l'Afrique du Sud, en passant par l'Italie, la Croatie ou encore l'Autriche. Après quatre ans et demi sur les routes, le retour à la vie sédentaire n'a pas été facile pour ce Berlinois. Il précise :

"Je n'ai jamais eu de mal à trouver du travail. Le costume attire l'attention ! Souvent, des gens me proposaient directement un job. Ou alors ils venaient me demander pourquoi j'étais habillé de la sorte et m'indiquaient ensuite un chantier en cours. Retrouver des obligations, des responsabilités... Cela fait cinq ans que je suis revenu, et j'ai toujours du mal à m'y faire !"

Développements récents en Allemagne

La Walz (compagnonnage itinérant) permet aux jeunes artisans d'enrichir leurs compétences professionnelles, de découvrir de nouvelles cultures et de développer leur maturité personnelle. Malgré les moyens de communication modernes et l'évolution des modes de vie, cette tradition reste attrayante et pertinente pour de nombreux artisans.

Capitale européenne de la culture, Chemnitz 2025 : deux artisans souhaitent attirer des compagnons itinérants en 2025 pour des chantiers d'été dans la région culturelle de Chemnitz. L'objectif est de réaliser de petits projets de construction pour des associations, des institutions culturelles et des initiatives à but non lucratif. Selon les organisateurs, l'esprit du compagnonnage correspond bien à la mentalité créative de la capitale européenne de la culture.

Visibilité médiatique : la vie des compagnons itinérants suscite régulièrement l'intérêt des médias. Récemment, la NDR (chaîne de télévision allemande) a diffusé un reportage sur l'expérience de compagnons faisant étape à Hambourg. Le documentaire met en lumière leur quotidien, les défis de leur mode de vie et les raisons qui les poussent à partir sur la route.

Développements récents en France

En France, le compagnonnage est également une tradition ancienne, regroupant des artisans de divers métiers qui voyagent pour se former et transmettre leur savoir.

Les Compagnons du Devoir et du Tour de France sont l'une des principales organisations représentant ce mouvement et disposent de 64 maisons réparties à travers la France.

Journées portes ouvertes : ils organisent régulièrement des événements pour promouvoir leurs métiers et partager leur expertise. Cette année, les journées portes ouvertes sont prévues dans une quarantaine de maisons de Compagnons en France métropolitaine.

Initiatives caritatives : de plus, les Compagnons du Devoir participent activement à des initiatives caritatives. Lors de la 38e édition du Téléthon, qui s'est déroulée les 29 et 30 novembre 2024, une trentaine de leurs communautés se sont mobilisées pour lever des fonds destinés à la recherche scientifique sur les maladies rares.

Ces traditions, tant en France qu'en Allemagne, témoignent de l'importance de la transmission du savoir-faire artisanal et de la formation continue des artisans à travers le voyage et l'échange.

En savoir plus :

• Différences culturelles France / Allemagne au quotidien et au travail
• Comment trouver un apprentissage ou une formation en Allemagne
• Liste des formations et apprentissages franco-allemands

Olivier Geslin